Sur la piste des Gardians

 

 

 

Le soleil se lève sur l'étang du Vacarès, nimbant d'or les eaux plates de la lagune. Chapeaux, ponchos et bottes, les cavaliers progressent lentement à travers les "sansouires" (les marécages). Entre les touffes vertes des salicornes (ingrédient indispensable à la fabrication du savon de marseille), le sol se craquelle, et on voit çà et là effleurer des couches de sel. D'un fouillis de roseaux, sur les berges humides, décolle un héron cendré qui plane un long moment sur les étendeus immobiles. Dans l'air déjà chaud du matin, les chevaux s'ébrouent  - des camarguais de pure souce, avec leur robe gris clair, leur folle cinière et leurs sabots larges, parfaitement adaptés aux terrains marécageux. En colonne, ils longent les rives du Vacarrès, suivent la digue des Cinq-Georges, remontent jusqu'aux étangs de Méjanes. Bientôt l'horizon semble disparaître, noyé dans cet immense paysage liquide qu'ont formé, en se mêlant, les eaux du Rhône et de la Méditerranée.

Sauvage, la Camargue?
Au cours des siècles, l'homme a pourtant profondément modifié ses paysages, prévenant les incursions de la mer et canalisant les crues du fleuve. Ici, on contrôle en permanence le niveau des eaux. Le Vaccarès est la pièce maîtresse de tout le système hydraulique du delta : cette vaste lagune de 6 000 hectares, où les eaux ne dépassent pas 2 mètres de profondeur, permet désormais d'irriguer "sur mesure" les rizières de Camargue. Mais la nature y a aussi repris ses droits. Grâce à la création du Parc Naturel Régional de Camargue, en 1972, des milliers d'oiseaux viennent nicher sur les îlots de la lagune : foulques et canards plongeurs , grèbes, hérons ...

Pour explorer ce territoire aux rives incertaines, rien ne vaut la randonnée à cheval. Sur des kilomètres de sentirs interdits aux voitures, sansouires, tamaris, baisses (étangs à assèchement estival) et lagunes alternent. Avec leurs couchers de sosleil magiques, quand les étangs s'éclairent de rouges dans un lâcher de flamants roses. A cheval et avec un bon guide , on peut passer partout, y compris sur les manades, ces immenses propriétés privées consacrées à l'élevage des taureaux. Il suffit de pousser les portails qui délimitent les domaines. Ainsi, on approche au plus près de la vie des élevages camarguais. Un vieux mas de pierre orienté plein sud, dos au mistral, une treille où s'enroule la vigne, des écuries pour abriter les chevaux : au nord du Vaccarès, dans les paysages plats de la Petite-Camargue, la manade des Grandes-Cabanes se repère de loin.

Ici, les guardians sont les héros du quotidien. Chargés de surveiller les troupeaux en semi-liberté, ils connaissent chaque parcelle de leur territoire semi-aquatique. Au printemps, ces cavaliers rassemblent les jeunes bêtes pour les marquer au fer rouge. Chaque manade a son blason, qui fera ou défera sa glore dans les arènes, à la saison des courses à la cocorde. Et toute l'année, il faut trier les troupeaux et les déplacer d'un pâture à un autre. A ce travail, les cavaliers occasionnels peuvent participer...

 

 

 

 

 

Equipée sauvage entre ciel et mer.

Pour rejoindre la mer, on traverse le Petit-Rhone en bateau par le bac du Sauvage : à bord, les chevaux sont prioritaires ! Puis on coupe à travers les dunes. Du phare de la Gacholle aux Saintes-Maries, sur des kilomètres, s'étend une plage immense, séparée des terres par un cordon de dunes. Dans ces grands espaces, le bonheur est au bout de la bride du cheval : galoper au ras des vagues sur le sable blond, longer les dunes où le vent fait frissonner les oyats ... A midi, on s'arrête pour un barbecue à l'ombre de la pinède : au menu, tapenade, grillades au feu de bois et cru du pays. Au bout des chemins de Camargue, à l'extrémité du delta, l'église blanche des Saintes-Maries-de-la-Mer veille, coeur vivant d'un petit village tout blanc. Elle fut fortifiée pendant la guerre de Cent Ans, pour la protéger des incursions des pirates qui ravageaient la Provence en remontant le Rhône. Dans sa crypte, repose Sarah, la patronne des gitans, vénérée pour sa chevelure noire et sa peau bistrée. Cette simple servante accompagna , dit la légende, Marie-Jacobé, soeur de la Vierge et Marie-Salomé, mère de l'apôtre Jean, dans leur fuite hors de Palestine.
Et chaque année, le 24 Mai, des milliers de gitans conduisent sa statue sur la plage en procession.

 Source : Point de vue - Mai 2002 - article de P. Desclos

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Manadier : un métier, une vocation  

Le manadier : « un homme épris de liberté, à l'esprit rebelle, un brin frondeur, toujours en quête de tradition et de fêtes rythmées au son des chants et des guitares... ». C'est ce que vous pourrez lire dans les dépliants touristiques qui voudront vous vendre une authentique journée dans une manade. Loin de cette image d'Épinal (qui reste néanmoins une source de revenu non négligeable), le métier de manadier revêt une réalité tout autre.    

Le quotidien d'un manadier ?
Ce sont 200 têtes de bétail à gérer, à nourrir, à soigner, à « écarter » pour les courses. Les jeunes bouvillons à marquer de votre fer, de votre «escoussure », à tester lors d'obscures courses de villages où ils joueront leur destin : en gros cocardier (il sera alors baptisé d'un nom), ou en boucherie en passant par quelques stades intermédiaires (abrivados, courses d'emboulés...). Choisir ceux que l'on réserve pour la reproduction et ceux que l'on « bistourne ». C'est la marmite à faire bouillir. Le manadier, sans autres sources de revenu, ne tient pas un an. D'ailleurs, s'il n'est pas agriculteur ou milliardaire, le manadier exerce un métier : pharmacien, notaire. ..La manade, c'est un peu la danseuse. Quelques entrées d'argent : les courses, d'abord, du moins si l'on est en mesure de présenter une « royale » (lot de 6 taureaux) de valeur, les abrivados avec des taureaux de rebut, la boucherie, toujours. Le tourisme, aussi.  

Savoir conduire l'abrivado...
Ça tourne à peu près, sauf gros pépin. Le pépin, c'est les intempéries qui vous déciment un troupeau. Il y a 10 ans, Aubanel a perdu toutes ses bêtes qui, affolées par l'orage, se sont jetées dans une roubine où elles ont péri noyées. Sans parler des maladies : la vache folle, bon, en principe, pas de risque. Mais la tuberculose, endémique, la fièvre aphteuse redoutée ? Imaginez qu'il faille abattre : c'est 30 années de sélection, de croisements soigneusement calculés, de passion envolées en un instant.

C'est dire que le manadier doit être à la fois vétérinaire, comptable, imprésario, maquignon, et un peu sorcier s'il veut s'en tirer.
C'est dire qu'il doit être un pur, parce que, sinon, au bout de 6 mois, il jette l'éponge et s'achète un yacht. Il faut avoir, ancrée, la « fé di biou », la passion du taureau. Savoir aller chercher en plein hiver la vache qui vient de mettre bas on ne sait pas trop où, savoir conduire l'abrivado à la tête des gardians, savoir intervenir pour séparer les « bious » en cas de rixe (et Dieu sait qu'il y en a, souvent mortelles), savoir repérer du premier coup d'oeil le comportement anormal de tel ou tel (il ne serait pas en train de nous couver quelque chose, celui là ?), savoir si tel ou tel étalon ne s'est pas fait la belle au mépris des clôtures afin d'aller honorer quelque vache qui mugissait, à 20 km de là...  

Et vient alors, peut-être, la récompense : celle de sortir un taureau, qui, en 10 ans de carrière va écumer toutes les pistes de Provence et du bas Languedoc avec son nom en gros sur les affiches, un de ces taureaux qui vous décroche le « biou d'or », draine la grande foule et charge votre tablier de cheminée et vos étagères de coupes et de trophées. Ce jour-là, alors, vous êtes fier de vous, vous savez que tout ce combat n'a pas été mené en vain, vous êtes enfin un manadier !  

Source : Témoignage d'un manadier, 24 Mars 2002

 

 

 

 

 

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