Poésies

Chants

 

La complainte des Prisonnières de la Tour de Constance

 

Traduite et adaptée en français par Ruben Saillens (1855-1942) en 1882

 

Créée en languedocien par le Nîmois Antoine Bigot (1825-1897)

 

La vieille ville d’Aigues-Mortes
La ville du Roi Saint Louis
Enorme étendue entre ses portes
Rêve aux grands environs.
Elle dort mais comme un vieux garde
De son œil rouge grand ouvert
La Tour de Constance regarde
Regarde la plaine et la mer.

De la campagne, de la plage
S’élèvent mille bruits confus
Mais la Tour, géant d’un autre âge
La Tour sombre ne parle plus.
Seulement par les nuits voilées
Le pécheur entend des sanglots,
Et des voix qui chantent mêlées,
Au lointain murmure des flots.

Qui vécut là, des prisonnières
Qui mettaient Dieu devant le Roi
Là, jadis des femmes, des mères
Moururent pour garder la foi.
Leur seul crime était d’être allées
La nuit par un sentier couvert
Fondre leurs voix aux assemblées
Qui priaient Dieu dans le désert.

Mais les dragons, ô temps infâmes
ô lions changés en renards
Les dragons veillaient sus, aux femmes
Braves soldats, sus aux vieillards.
Bientôt d’un peuple dans défense,
Les sabres nus avaient raison
Les Huguenots à la potence
Les Huguenotes en prison.

A jamais ses murailles grises
Me rediront ce qu’ont souffert
Ces paysannes, ces marquises
Ces nobles filles du désert.
Mais dans leur foi, puisant un baume
D’une voix tremblante de pleurs
Ensemble elles chantaient un psaume,
Les cœurs brisés sont les grands cœurs.

Les ans passèrent sur la Tour sombre
Et la porte ne s’ouvrait pas
Les unes veillaient dans l’ombre
D’autres sortaient par leur trépas.
Mais jamais aucune à son maître
De le trahir ne fit l’affront
Huguenotes, il les fit
Huguenotes, elles mourront.

Ah que devant cette ruine
Un autre passe insouciant
Mon cœur bondit dans ma poitrine
Tour de Constance en te voyant.
ô sépulcre où ces âmes fortes
Aux ténèbres ont résisté
ô Tour des pauvres femmes mortes
Pour le Christ et la liberté.

 

La viéyo villo d'Aigo Morto
La villo dou réi Sant Louis
Panlo e maigro darriès si porto
Au bord de la mar s'espandis
Uno tourré coumo un viel gardo
Viho en déforo di rampar
Aouto e sourno liun liun regardo
Regardo la plano e la mar.

L'aubre se clino, l'auro coure
La poussièro volo au camin,
Tout es siau dins la vieio tourre
Mai per tems passa 'ro pas sin.
Li pescaîre que s'atardavon
Dins la niue, souvent entendien
Tantost de fenno que cantavon
Tantost de voues que gemissien.

De qu'éro aco ? De presouniero.
De qu'avien fa ? Vioula la lei,
Plaça Dieu en ligno proumiero,
La couscienci au dessus dou rei.
Fièri iganaudo, is assemblado
Dou Désert, séguido di siéu,
Lou siaume en pocho, éron anado
A travès champ, per préga Dieu.

Mais li dragoun dou rei vihavon:
Sus la foulo en preiero, zou!
Zou! lou sabre nus, s'accoussavon...
E d'ome de cor e d'ounou
Leu li galèro eron pouplados
E si fenno, i man di dragoun,
En Aigo-Morto eron menado,
E la tourre ero sa presoun.

Souffrissien, li pauri doulento,
La fam, la set, lou fre, lou caud;
Avien li languitudo sento
Dis assemblado e de l'oustau.
Mais vien la fe, counfort e baume
Di cor murtri que reston fier;
Ensemble cantavon li siaume
Dins la presoun coumo au Desert

Li jour, li mes, lis an passavon,
E noun jamai li sourtissien.
D'uni i soufrenco resistavon,
D'autri, pechaire, mourissien.
Mais sa fe, l'aurien pas vendudo,
Mais soun Dieu l'aurien pas trahi,
Noun! Iganaudo eron nascudo,
Iganaudo voulien mouri.

D'avans ti peiro souleiado
Qu'un autre passe indiferent,
O tourre, a mis iuel siès sacrado,
Siei tout esmougu'n te vesent,
Tourre de la fe simplo e forto,
Simbel de glori e de pieta,
Tourre di pauri fenno morto
Per soun Dieu e sa liberta.

 

 

Je suis ...

Je suis né, dans un coin sauvage
où les taureaux noirs sont les rois;
et fus bercé dès mon jeune âge
par les flamants roses en émoi.

Ma maison était toute blanche,
au milieu des pins et des joncs;
et le mistral avec les branches,
me composait de belles chansons.

Je suis né, sur ce sol aride
où comme Attila, le soleil
fait à la terre mille rides
pour en étouffer le réveil.

Mais lorsque la lune apparaît
et que sa clarté innonde
les roubines et les grands marais,
on croirait voir le bout du monde.

Je suis né, dans la plaine immense
où galopent les blancs chevaux;
au loin il y a des camps où dansent
les bohémiens près des chariots.

Et j'ai suivi la farandole
qu'accompagnent les tambourins,
traîné dans cette ronde folle
où chacun me tendait la main.

Ami le souhait que je vais faire
en priant Dieu de l'exaucer
c'est m'endormir en cette terre
dans ma CAMARGUE où je suis né !!

Jean-Marc ALLEGRE

 

Le pays natal

Chaque homme garde au coeur l'amour du sol natal
s'ingénie à dresser comme en un piedestal
le lien qui l'a vu naître au rang des plus beaux sites
et chante ses trésors pour peu qu'on l'y incite.
Mais nous Aiguesmortais ressentons la douceur
d'un sentiment si pur, si profond, si berceur
que l'âme émerveillée embrasse dans un rêve
les étangs, les remparts, les canaux et la grève
qui miroite au-delà des chapelets de pins
nos vignes, nos marais, notre humbre gagne-pain
nos rues où le logis abrite la courette
les cris de nos marchands, les bruits de la charette
du vigneron partant pour cueillir le raisin
le tic-tac du pressoir dans le cellier voisin
l'Eglise où les aieux les dalles ont des traces.
Aigues-Mortes!   Pays unique!    O belle race!
Notre coeur se remplit de l'émoi le plus pur
Lorsque se dressent au loin tes portes et tes murs.
parce qu'il fut ingrat, désert, pauvre, insalubre
nous l'aimons ce pays au nom triste et lugubre
O plaine où le gardian presse le noir taureau
ton mourant horizon est pour nous le plus beau
car l'âme aiguesmortaise en ce lieu nostalgique
reste fidèle à tout son passé magnifique
étant rude, joyeuse, émotive, têtue
nul ne part qui un jour ne rêve à la "Pointue".

Extrait du drame historique
"La tour des Bourguignons"
R. Lassere
1943

 

Salut à Aigues-Mortes

Aigues-Mortes, cité des belles abrivados,
Je me souviens toujours du glorieux passé
Des matins si joyeux de ta folle engassade
De ton immense plan aux faciles ferrades
Dont ton peuple bouillant n'était jamais lassé.

Ville ceinte de murs très bientôt millénaires
Où le mois cocardier, acquit un grand renom
Berceau de gars trapus, adroits et téméraires
Des taureaux de Combat la race centenaire
A souvent sur ton livre d'or, inscrit ton nom

Quel grand regret pour moi de ne pouvoir encore
Venir caracoler sur "Miracle" ou "Pompom"
Toujours afffectueux à ce sport que jadore
Comme aux beaux jours d'antan pousser les fières taures
Et trouer dans la foule en franchissant le pont

Hélas, je suis trop vieux, ma mauvaise carcasse
M'interdit à jamais les rigueurs des combats.
La vie le veut ainsi, ... il faut céder la place
A plus jeunes gardians, pleins de feu et d'audace
Qui sans peur foulera le sable où l'on se bat

Mais    Quel   Contentement !!

Mais quel contentement de savoir qu'Aigues-Mortes
Garde "la fé" ancrée au tréfond de son coeur
Merci Aigues-Mortais qui me fîtes honneur!
L'aficion, chez vous, n'est pas encore morte!
A vous tous mes amis, tous mes voeux de bonheur.

Fernand Granon
Poème paru dans les colonnes du "Ponant"

 

Aigues-Mortes

Enceinte militaire
Au coeur des salicornes,
Etrangère, par acte régalien,
Aux hommes des paluds, nés d'Oc
Fleuris de sel,
Qui parlaient aux dauphins,
Elle a surgi, hostile aux roselières
Qui font l'amour avec le vent,
Elle a surgi pour la vaine croisade
Dans les cris d'alarme des oiseaux,
Emblème à jamais funéraire
Des terres aliénées.

Frédéric-Jacques Temple
à l'occasion du Printemps des Poètes  
Le Figaro Magazine - Mars 2004

 

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